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LA LIMITE DU MAROC ET DU SAHARA ATLANTIQUE (*)

Robert Montagne

Existe-t-il une frontière qui sépare le Sahara Atlantique du Sud du Maroc? Une limite géographique naturelle, qui marque á la fois un changement dans la vie matérielle, sociale et politique des hommes, est-elle tracée entre le monde des sédentaires et celui des nomades? Passe-t-on au contraire par transitions insensibles des régions déshéritées du versant méridional de l'Anti-Atlas à la steppe pré-saharienne du Dra, de la même manière que cette steppe se confond progressivement, á mesure qu`on s'avance vers le sud, avec les pays proprement désertiques où règnent en maîtres les grands nomades chameliers? C'est là un problème de géographie humaine dont la solution n'est pas indifférente á notre expansion saharienne.

A première vue, si l'on s'en tient aux formes les plus apparentes de l'existence matérielle, on est tenté de croire que le pays des sédentaires n'a pas de limites précises et qu'il se prolonge indéfiniment vers le Sud, jusqu'au centre du désert.

Les habitants de la plaine du Sous, de l'Azaghar de Tiznit, et du versant Nord de l'Anti-Atlas ne différent pas beaucoup, on le sait, par leur genre de vie, leurs habitudes sociales et leurs institutions, de ceux de la plaine de Marrakech et du Haut-Atlas Occidental. Tout au plus l'insuffisance et l'irrégularité des pluies ont-elles pour conséquence d'entretenir dans leur territoire une certaine insécurité alimentaire. Pour y parer, les habitants de ces régions construisaient naguère en montagne des magasins collectifs où ils conservaient les provisions des années d'abondance ; de nos jours, c'est cette menace de famine qui oblige les hommes adultes à quitter en grand nombre leurs villages, pour aller trouver á l'extérieur les ressources nécessaires à la vie des femmes et des enfants restés au pays.

C'est seulement lorsqu'on franchit la crête de l'Anti-Atlas et qu'on arrive sur le versant sud de cette chaîne qu'on a, pour la première fois, le sentiment d'entrer dans un monde nouveau.

La forêt d'arganiers, si maigre et si triste soit-elle, animait encore les pentes du versant nord; elle disparaît alors brusquement pour faire place aux montagnes et aux flancs de vallées entièrement dépourvus de végétation. En même temps surgissent, dans le fond encaissé des oueds, de belles palmeraies dont la fertilité contraste étrangement avec l'aridité environnante. Telles sont par exemple les oasis de Tagmout, au sud d'Igherm, des Issafen, on de Tamamart.

Les villages que nous rencontrons dans cette région sont les premiers qui aient un aspect extérieur saharien . Ils sont remarquables par l'importance des galeries couvertes, destinées à protéger les hommes du soleil pendant le jour et à offrir un abri pendant la nuit. Leurs habitants sont exclusivement des cultivateurs de jardins. Es parlent berbère et leurs institutions politiques ne différent en rien de celles des montagnards de la région des crêtes. Mais ils sont fortement métissés de noirs, et bien qu'ils soient tous des hommes libres et ne soient pas soumis á la protection des nomades, ils ont toutes les apparences des haraten qui habitent dans les qsour du Dra et du Tafilelt (1).

Cette première limite, formée par la crête de l'Anti-Atlas et que la comparaison des villages des deux versants rend très sensible, ne présente cependant qu'une faible importance; elle ne marque que l'apparition de la première forme de passage entre la vie des hommes du Nord et du Sud.

Au point où ces vallées du versant saharien de l'Anti-Atlas s'épanouissent dans la plaine, apparaissent des oasis d'un type un peu différent, plus saharien encore, dont Bou Izakaren et les oasis des Ifran sont le meilleur type. Aux terres irriguées que nous trouvions dans la partie supérieure des vallées, viennent s'ajouter, dans la zone d'épandage des oueds, des terres de labour. Souvent des berbères sédentaires qui vivent dans la montagne y possèdent des champs, à quelque distance des villages, et lorsque les pluies d'hiver ont été abondantes et que les oueds out coulé, les laboureurs viennent en grand nombre, apportant avec eux leurs charrues; souvent même, les jardins irrigués leur appartiennent et les haraten sont leurs khemmas.

Plus loin encore vers le Sud, nous trouvons une ligne presque continue d'établissements permanents, dont le caractère saharien s'affirme davantage, et dont nous aurons plus loin à souligner l'importance. Ce sont les qsour du Bani et du Noun.

Ici encore, aux cultures irriguées viennent s'ajouter les champs situés dans le lit des oueds, les ma'der , où les crues d'hiver viennent parfois fertiliser la terre. Les habitants sont en partie des haraten, en partie des berbères de la montagne fíxés à demeure dans les palmeraies; mais un élément nouveau fait aussí son apparition: le nomade moutonnier des steppes comprises entre le Noun et le Dra. Lui aussi, comme le berbère dans les oasis situées au pied de l'Anti-Atlas possède ici des terres qu'il fait labourer par les haraten, et il vient séjourner dans les villages á l'époque des récoltes. On observe en même temps que les agglomérations se groupent davantage, s'entourent de remparts, et l'on sent, à voir leur disposition intérieure, planer sur elles la menace de l'attaque des guerriers du désert (2).

Pénétrons plus profondément encore dans les solitudes du Sud. En remontant le lit desséché des oueds sahariens, nous rencontrons alors les campements de ces petites tribus berbères arabisées, telles que les Id Bou 'Achra, les Ait Mousa on Daoud, les Terkez, du groupe des Tekna, qui n'ont plus guère comme point d'appui que d'insignifiantes palmeraies, dont Targa-Maït est le meilleur exemple. Quelques familles de haraten y conservent les provisions des pasteurs dans de pauvres maisons. Dans ces montagnes, les troupeaux des diverses fractions de tribus se mêlent librement, les campements se divisent á l'extrême et se répartissent au hasard : la notion de territoire appartenant en propre au groupe social s'efface de plus en plus ; nous sommes déjà au désert.

En nous rapprochant du Dra, enfin, ce sont des qsour tels qu'Asa el Mouloud, on Awinet des Ait Ousa. qui abritent les haraten des tribus chamelières. Les Ait Ousa nous apparaissent alors comme le dernier type de transition entre le petit nomade du Noun et les grands sahariens que sont les Reguibat. Gráce à leurs montures, leur aire de déplacement s'étend de plus en plus, ils remontent tout le cours moyen du Dra et pénètrent parfois jusque dans la Feija, chez les Zenaga, poussant plus on moins loin vers le Nord et l'Est leurs incursions selon la richesse des pâturages du désert qui est variable au gré des pluies.

Au delà des zones de parcours des Ait Ousa, en continuant notre marche vers le Sud, nous franchirions le cours desséché du Dra pour atteindre la Hammada qui est la véritable rive du grand désert occidental (3).

Parmi ces cinq groupes d'établissements humains dont nous venons de dire les caractères essentiels, il en est un dont l'importance dépasse de beaucoup tous les autres; c'est celui des oasis du Noun et du Bani, et c'est bien sur lui qu'il faut fixer notre attention, parce qu'il marque vraiment, dans cette suite de transitions insensibles, la limite et la frontière du pays des sédentaires et de la zone pré-saharienne.

En effet, cultivateurs de la montagne et nomades des steppes du Dra s'y rencontrent sur le pied de la plus complète égalité; les uns et les autres possèdent, dans cette zone, des jardins dont prennent soin les mêmes haraten. Tout ce chapelet d'oasis est en même temps une ligue de marchés importants parce que les échanges - sous la forme primitive du troc - sont indispensables entre deux groupes humains dont les ressources sont complémentaires. Rien d'étonnant que les villes se soient succédées au cours de l'histoire dans cette vallée du Noun: Noul Lemta, sous les Almoravides, Tagaost, à la fin du Moyen-Age, Goulimin, à la fin du XVIII et au début du xixe siècle, ont eté les grands centres du commerce saharien à la frontière du Maroc des sédentaires.

C'est ici qu'il faut aussi placer une importante limite linguistique si l'on excepte une fraction arabophone des Sbouia, toutes les tribus situées au Nord du Noun et du Bani out gardé leur parler berbére, tandis que les groupes berbères situés plus au sud, incessamment mélés aux arabes Ma'qil du désert depuis cinq siècles, ont adopté la langue de leurs dominateurs.

Il nous reste à montrer comment cette frontière naturelle, constituée par les oasis du Noun et du Bani, forme en même temps comme une ligne de rupture entre deux systèmes d'organisation sociale et politique différents, de telle sorte que les événements qui surviennent au Nord et agitent le pays, ne produisent pas, au Sud, les mêmes effets, et inversement; non pas sans doute que les deux régions situées de part et d'autre de cette limite se trouvent réellement séparées par une frontière infranchissable, puisque au contraire la vallée de Noun et la ligne du Bani servent de lieu de rencontre aux populations de l'Anti-Atlas et du Sahara, mais parce que les institutions se trouvent assez dissemblables pour que le mécanisme de la vie sociale dans une des régions ne puisse entraîner directement celui de l'autre.

Dans l'Anti-Atlas, comme dans toute la province du Sous, les unités politiques autonomes sont formées par des fractions de tribus - dont le territoire ne dépasse pas 40 á 50 kilomètres carrés, et la population totale 200 à 400 feux. Ce sont là autant de petites républiques gouvernées par leurs notables et qui conservent, malgré l'absence de chefs, une individualité sociale et territoriale très marquée. Les amghar on petits chefs despotiques indépendants, si nombreux sur le versant nord de l'Anti-Atlas, y sont le plus souvent inconnus, comme il faut s'y attendre dans un pays oú le Makhzen n'a pas souvent pénétré; c'est á peine si les hommes ambitieux et énergiques, capables de s'imposer aux assemblées berbères, osent prendre ici le titre modeste de moqaddem.

L'importance de ces unités sociales que sont les fractions de tribus, apparaît dans la constitution des alliances. Lorsque la guerre éclate entre deux états, il se forme deux alliances opposées qui sont faites des fractions de tribus. Il existe aussi, dans cette région, deux grandes alliances historiques, deux leffs, qui nous apparaissent comme le souvenir de la guerre de deux races : celle des Igezzoulen et des Ahoggwa . Elles mettaient jadis aux prises dans la montagne, non plus seulement des fractions de tribus, mais des tribus entières ou des groupes de tribus; mais ces deux ligues ont perdu de nos jours beaucoup de leur importance et cèdent le pas aux alliances de fractions.

Au Sud du Noun, sans doute en raison du développement de la vie nomade et de l'incertitude des frontières territoriales, les unités sociales nous apparaissent sous des aspects bien différents. On y trouve bien encore de petites fractions de tribus, ou de minuscules tribus de 100 á 400 feux. Mais on ne sait plus comment définir avec précision leur nature. Elle n'ont plus de conseils de notables; leurs assemblées se réunissent au hasard des guerres et des déplacements dans les pâturages et, le plus souvent, sont presque entièrement dépourvues d'autorité. Chaque chef de tente se regarde comme son propre maître. L'unité véritable, on s'en aperçoit bien vite en étudiant le pays, n'est plus la fraction, mais bien plutôt la confédération, le groupe le plus vaste, qui comprend des milliers de feux et qui entre dans la guerre tout à la fois. Tels sont les deux grands groupes des Id Bella et des Id Jemel. A l'intérieur de ces confédérations, chacun d'efforce de jouir de toute la liberté possible, prend parti pour qui il lui plaît, loue ses services de guerre à un étranger sans que personne y trouve á redire

Aux leffs berbères, formés d'un échiquier de fractions et de tribus, s'opposent ainsi les leffs des populations arabisées du désert, constitués par de grandes masses ethniques, dont chacune occupe au Sahara une région géographique distincte.

Sur la ligne frontière du désert, au pied du Bani et dans la vallée de Noun, ces institutions politiques, différentes dans les deux zones, font sentir á la fois leur influence et contribuent á donner aux qsour de la zone de contact une physionomie toute particulière.

Tout d'abord, ainsi que Foucauld l'avait observé lui-même lors de son séjour á Tisint et 'Aqqa, il y a quarante ans, le fractionnement ethnique y est extrême. Chacun des petits états de la montagne possède des colons dans ces oasis; ceux-ci gardent avec leur patrie d'origine des liens constants, en sorte que l'échiquier des leffs, qui est formé dans l'Anti-Atlas de tribus et de fractions de tribus, est constitué ici par des hameaux on même des foyers isolés. Il en résulterait, au point de vue politique, une complète anarchie si une institution nouvelle ne faisait dans cette région son apparition.

Nous voulons parler de la debiha. La debiha, dont l'existence est complètement inconnue au Nord du Noun et du Bani, est, on le sait, un contrat de protection qui lie un groupe social, une tribu, avec un étranger amené à séjourner sur son territoire on à le traverser. En fait, il arrive fréquemment que cette protection soit assurée, non pas par le groupe tout entier, mais par un de ses notables seulement; garant de l'honneur de la tribu, celui-ci est peu à peu amené à la dominer. Comme il a, d'autre part, l'avantage de pouvoir, s'il est riche, acheter le concours des nomades du voisinage, il les attache à sa personne et leurs tribus anarchiques sont pour lui un réservoir infini de forces où il peut puiser aussi longtemps que ses ressources le lui permettent. C'est dans ces conditions qu'a pu grandir et s'affermir l'autorité des chefs des oasis de Tisint et de Goulimin, dans une region peu propice, en apparence, au développement du pouvoir personnel.

Les chefs berbères de la montagne de l'Anti-Atlas sont moins favorisés que leurs voisins des oasis du Noun et du Bani; sans doute ils peuvent, eux aussi, faire appel, dans les luttes qu'i1s mènent contre leurs rivaux, aux contingents turbulents fournis par les nomades des steppes; mais ceux-ci n'ont plus, dans l'Anti-Atlas la valeur guerriére qu'ils ont au désert; ils combattent sur un sol étranger et sont difficilement acceptés par les compagnons berbères du chef. L'amghar, le caïd berbère lui-même, sont par ailleurs incapables de les retenir pour quelque durée; ils n'ont pas de prise sur ces pasteurs dont les troupeaux et les qsour sont soustraits à leur atteinte. Le mieux qu'ils puissent faire est de les attirer autour d'eux, lors des périodes de famine; c'est seulement dans ces circonstances qu'i1s consentent à dresser leur tente au voisinage d'une kasba et á faire paître leurs troupeaux près des champs d'un chef. Mais dès que les pluies out reverdi le Sahara, le nomade regagne son domaine habituel, qui est pour lui le pays de la liberté.

Ainsi s'explique l'impuissance radicale des grands chefs berbères à aborder les problèmes de la pacification du désert. Leurs leffs ne peuvent dépasser la limite naturelle où se fait le contact des deux zones. Seuls les maîtres des qsour du Noun et du Bani ont pu essayer d'étendre leur autorité sur les populations sahariennes; mais en même temps, ils out dû renoncer á s'imposer aux sédentaires de la montagne.

Ainsi, la frontière que nous avons indiquée marque, aussi bien dans le domaine de la politique du désert que dans celui des formes de la vie humaine, une véritable limite. Comme elle ne constitue en rien une barrière, les tribus venues du Sud on du Nord l’ont bien souvent franchie au cours de l'histoire. Mais en la passant, elles ont en même temps changé la plupart de leurs habitudes sociales, de telle sorte qu'entre ces groupes de même origine établis, les uns au désert, les autres fixés dans la Berbérie sédentaire, il existe un dimorphisme complet, dont toute tentative d'action politique a dû tenir compte dans le passé.

On comprend donc que ce soit cette zone du Nord et du Bani qui forme la vraie marche saharienne du Maroc, celle dont l'occupation est essentielle pour assurer au pays des sédentaires la sécurité nécessaire à sa vie, la seule, en même temps, où puisse être tenté avec succès l'apprivoisement des insaisissables nomades du désert.



(*)MONTAGNE, Robert, 1930,Les limites du Maroc et du Sahara Atlantique, Etudes Notes et Documents sur le Sahara Occidental, VIIème Congrès de l'Institut des Hautes-Etudes Marocaines, Rabat, 30, Mai, 1930, pp. 111-118

(1)Cf. planches I, II, III

(2) Cf. planches IV, V, VI.

(3) Cf. planches VII, VIII, IX.

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